Le Centre N A Rive a appris avec une peine immense le décès de l’écrivain, peintre, poète, dramaturge et comédien haïtien, Franketienne.
La nouvelle de ce départ nous a profondément consternés, au Centre, car dans les interviews que Francketienne accordait jusqu’à très récemment encore à maintes télévisions et médias numériques de Port-au-Prince, sa voix claironnante, sa parole mobilisatrice et son rire contagieux ne laissaient nullement entrevoir la survenue d’un départ imminent. Les participant.e.s en alphabétisation qui apprennent à découvrir, à jouer avec les mots justes, ont, en compagnie de leurs formateurs, leurs formatrices, marqué un temps d’arrêt pour savourer la verve, le tourbillon, la spirale d’idées, la rage de vivre libre de ce magicien des mots.
Ce tableau, d’un membre engagé du Centre, l’artiste-peintre Raymond Cadet, tenu par quelques participant.e.s des ateliers alpha-pop, le démontre bien.

Oui, ce 25 février 2025, Franketienne, ce géant de l’art total est tombé. Il est entré au fond de sa spirale de rythmes, de sons, de mots et de couleurs, et n’en est plus ressorti.
Quand un géant meurt, les arbres majestueux de la forêt baissent leur cime, saluant ainsi, dans le plus grand respect, la fin de la marche terrestre d’un des leurs. De leur côté, les êtres humains, ceux qui du moins connaissaient le potomitan désormais en voyage sans retour, qui l’aimaient, l’admiraient, lèvent les yeux vers le ciel pour suivre son envol majestueux vers sa nouvelle galaxie. Et là, au-dessus de nos têtes, c’est Frank qui s’en va tout en spirales, et nous comble d’émotion!
Le vrai nom de cet être au génie langagier et pictural incommensurable est, en soi, une incantation, une déclaration d’amour à la vie, un acte de résistance au mauvais sort et une solidarité sans limite envers tous et toutes. Et il était tout cela, Franck. Et même plus encore. Il avait reçu en naissant le nom de Jean-Pierre Dantor Basilic Franck Étienne d’Argent. Un ‘’chapelet de noms vaillants’’ comme il le disait lui-même. C’était une manière, pour sa très jeune mère âgée de 14 ans et sa grand-mère, toutes deux paysannes, de mettre en déroute les sorciers et les loups garous de tout acabit, qui dans l’imaginaire des uns et des autres, peuplaient et peuplent encore les campagnes haïtiennes. Au fil des ans cependant, force était a été, pour ces deux grandes dames, de reconnaitre que ce nom si long, à 17 ans, compliquait la vie du jeune enfant tant à l’école qu’avec ses amis. Il fallait accepter légalement de le faire plus court. Ainsi est apparu Franck Etienne. Deux composants, au lieu de cinq ! Deux ou trois ans plus tard, le souffle poétique lui commande de fusionner les deux éléments. D’où Franketienne. Son nom d’artiste. D’un seul trait ! D’une seule enjambée ! Yon sèl pas dlo!
Les Haitiens du pays et de la diaspora se remémorent, en ces jours, les nombreux livres de Francketienne, écrits en français ou en créole. Plus d’une quarantaine. Tous, nous nous souvenons de ses textes poétiques, de ses romans, de ses œuvres dramatiques, et aussi de ses nombreuses peintures, ‘’plus de cinq mille’’ avait déclaré Frankétienne. Même si l’Internet nous facilite la tâche, il est quand même bon d’en citer quelques uns: Mur à crever, son tout premier roman de jeune écrivain, ou encore Ultravocal, Le Sphinx en feu d’énigmes, Amours, délices et orgues, Bobomasouri, Twoufobon, Minwui mwen senk, etc., etc..
Toutefois, l’œuvre qui a fait connaitre Francketienne du grand public haïtien est, sans conteste, Pèlen-Tèt. Son succès a été immédiat. Les centaines de représentations en Haïti et dans de nombreuses villes d’Amérique du Nord où s’est constituée une diaspora attachée à sa culture et à sa terre natale, ont implanté à jamais la jouissance langagière de l’œuvre de Franktienne dans les esprits comme dans les cœurs. Il avait créé, avec des amis écrivains. Jean-Claude Fignole et René Philoctète, le mouvement littéraire Spirale, vers la fin des années 1960. En fait, le spiraliste c’est lui. Il l’avait d’ailleurs précisé dans une interview accordée au Courrier de l’UNESCO, en décembre 2023 : ‘’Courageusement, j’ai assumé jusqu’au bout l’esthétique de la Spirale qui, à travers une écriture éruptive et tourbillonnaire, m’a permis d’explorer la complexité de notre Univers et son énergie mystérieuse en perpétuel mouvement vibratoire, giratoire et gravitationnel.’’
Profondément attaché à son pays, Franketienne n’a jamais voulu partir. Debout face à la dictature des Duvalier, il appelait dans ses livres, au réveil patriotique, et cela au risque de se faire tuer par les sbires de ce régime sanguinaire. Après la chute de la dictature, il continuait sans relâche à haranguer ses concitoyens. Il avait peur que notre nation ne soit détruite par les dirigeants sans colonne vertébrale qui se présentaient sur la scène politique. Sa fusion avec la terre haïtienne était si grande qu’un an avant le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010, il a écrit une pièce de théâtre qui présente, de façon prémonitoire, deux personnages confrontés au lendemain d’un violent séisme, à la destruction de tout un monde, réduit en cadavres et en décombres…
Maintenant, le moment est venu d’aller rejoindre d’autres Haïtiens de génie, les héros de notre indépendance, les grands noms de notre littérature et ceux de l’art global pour leur raconter les malheurs de notre beau et cher pays, aujourd’hui mis à mort pour des raisons que nous essayons de comprendre. Unissez votre voix aux leurs pour réveiller ces millions de jeunes et de moins jeunes qui ont oublié qu’Haïti est synonyme de RESISTANCE, de LIBERTE, de SOLIDARITE.
Quand nous redeviendrons toutes et tous des vaillantes et des vaillants, vous pourrez écrire une autre belle pièce dont vous seul avez le secret : Kanpe pou libète!
Merci Francketienne ! Chapo ba pou ou, Mapou! Bon voyage!
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