Chers amis et membres fidèles du Centre N A Rive,
Le 21 février est la Journée Internationale de la langue maternelle. le Centre N A Rive, fidèle à lui-même, profite de cette occasion pour rappeler à tous l’importance de la langue maternelle dans le développement d’une communauté. Inutile de souligner, ici, les luttes, à l’échelle mondiale, de certains groupes marginalisés pour garder vivantes leurs langues maternelles. Il y en a même qui sont emprisonnés pour défendre leurs droits linguistiques.
Cette année, le Centre dispense des services à un nombre appréciable de groupes linguistiques. Une mosaïque de dix-sept langues maternelles, issues de différentes nationalités, enrichissent l’horizon culturel du centre. Il s’agit de : l’arabe, l’arménien, le baoulé, le bissa, le créole, l’espagnol, le fon, le français, le kinyarwanda, le lingala, le mambila, le persan, le vietnamien, l’urdu, le pendjabi, le bangla, le susu. Pour nous, cette diversité culturelle et linguistique au sein de notre modeste institution est une plus value que nous considérons au premier chef. Il nous plaît, donc, de souligner; aujourd’hui, cet apport inestimable dans notre communauté. Comme d’habitude, depuis l’année 2000, nous donnerons une opportunité à ces locuteurs de célébrer la beauté et l’importance de leur langue maternelle, tout en consolidant leur apprentissage et leur maîtrise du français comme la langue cible pour faciliter leur intégration dans la société d’accueil.
Cette année, comme prévu par l’OIF et l’UNESCO, la Journée sera célébrée sous le thème majeur : «L’éducation inclusive à travers et par la langue». Ce thème tombe à point, selon nous, pour beaucoup de personnes qui sont exclues dans leur propre pays n’ayant pas l’accès à l’éducation dans leur langue maternelle. En tant qu’ Haïtiens, nous savons de quoi nous parlons. Aujourd’hui encore, nous nous battons pour une éducation inclusive et de qualité dans notre langue maternelle, le créole.
Dans cette perspective, nous croyons que cette journée de célébration de la langue maternelle est un moment propice pour parler un peu d’un événement mémorable pour l’avenir de notre pays et de celui de notre langue maternelle : le créole haïtien. Il s’agit, bien sûr, de la création de l’académie du créole haïtien. Sans entrer dans les détails, nous préférons répondre à ces quelques interrogations que soulève l’instauration de ladite académie. Elles sont au nombre de cinq. Les voici :
- D’où vient l’idée de l’académie du créole haïtien?
- Comment ont été les démarches?
- Que reste-t-il à faire pour que cela aille bien ?
- Il était question de 55 académiciens, on en a choisi 33, où sont passés les 22 autres?
- Comment l’académie fonctionne-t-elle?
Pour répondre à la première question, disons tout de suite que cette idée n’est pas tombée du ciel. Elle est bien confortable dans l’article 213 de la constitution de 1987 qui exige de l’État la création de l’académie du créole haïtien pour accompagner le développement de la langue. D’ailleurs, dans son article 5, elle stipule que le créole est la seule langue qui unit le peuple haïtien. En d’autres termes, elle lui confère son statut de langue maternelle, nationale et officielle. Dans le souci de promouvoir le développement de notre langue qu’on a tant humiliée, les constituants lui ont jeté les bases dans ce texte, pour mettre fin à une injustice qui; ma foi, a trop duré. Alors, l’idée est bien présente dans la loi-mère. Elle ne vient pas d’un coup de tête.
La deuxième question s’intéresse aux démarches entreprises pour y parvenir. Disons qu’elles n’ont pas été très faciles. En effet, les linguistes, les créolistes ainsi que tous ceux et celles qui travaillent dans le domaine n’ont pas cessé d’exiger à l’État le respect de la Constitution ratifiée massivement par le peuple. Ils l’ont pressé de prendre sa responsabilité devant la nation en appliquant l’article 213 de la Constitution de 1987. Cependant, les jours passaient sans qu’une décision ne soit prise en ce sens.
Il a fallu attendre l’année 2008 pour voir enfin la lumière au bout du tunnel, car le Rectorat de l’université d’État d’Haïti, par l’entremise du recteur et du vice-recteur, a pris le dossier en main. Pour ce faire, ces dirigeants ont rencontré les représentants de plusieurs autres institutions importantes du pays, particulièrement celles qui travaillent dans le domaine de l’éducation, de la linguistique, de la sociologie et de l’anthropologie. Le résultat de ces rencontres a permis de créer un comité de travail sur l’académie du créole haïtien.
Ce comité a travaillé d’arrache pied. Après de nombreuses réunions, elle a fini, en 2011, par organiser un colloque international de trois jours ayant pour thèmes : L’académie du créole haïtien : Quels problèmes? Quels avantages? Quels défis? Quel avenir? Cet exercice a apporté des résultats concrets permettant aux intéressés de tomber d’accord sur la marche à suivre pour implanter cette académie dans le pays, conformément aux exigences constitutionnelles. Cette unité a conduit, le 23 avril 2013, à la formulation de la loi sur la création de l’académie du créole que le parlement haïtien, toutes tendances politiques confondues, a votée sans hésitation. C’est le premier acte important de l’État haïtien sur la mise en place de l’académie du créole haïtien tant attendue. De plus, le Moniteur, le journal officiel du pays, l’a publiée en son numéro 65, le 7 avril 2014. C’est donc le travail acharné, incessant de ces femmes et de ces hommes de bonne volonté qui nous fait parvenir à la création officielle de cette noble institution.
À la troisième question, on nous demande ce qui reste à faire pour que cela aille bien. Nous y répondons simplement de la manière suivante : Nous avons une jeune institution qui vient de voir le jour et qui a besoin de se structurer. Nous voulons dire par là qu’il reste beaucoup à faire pour apporter le changement nécessaire. Nous avons les commissions qui travaillent pour jeter les bases de l’académie. Nous pouvons dire que sa création n’est pas une fin en soi, mais plutôt un début dans la lutte que nous menons contre l’injustice pour faire respecter les droits linguistiques du peuple haïtien. Ainsi, l’académie va développer et entretenir de bonnes relations avec les autres partenaires pour les encourager à produire en créole qui doit absolument garder son prestige de langue maternelle, officielle et nationale sur tout le territoire.
Par exemple, il faut travailler sans relâche pour que les fonctionnaires aient une formation adéquate dans cette langue. Les textes de lois doivent être traduits et mis à la disposition des institutions et services appropriés. De plus, ceux qui vont être votés devront l’être au moins en créole. Ainsi, tous les documents officiels, comme le Moniteur, le journal officiel d’Haïti, devront être publiés aussi dans la langue maternelle du peuple.
C’est invraisemblable que le peuple qui s’est battu pour forger son destin ne puisse ni lire ni écrire son histoire comme il l’entend. C’est l’étranger qui le fait à sa place et dans une langue autre que la sienne. Il est donc temps que l’État fonctionne dans la langue de ses concitoyens.
La quatrième question porte sur la composition de ladite académie. Qu’en est-il en réalité? La loi qui a créé l’académie du créole a prévu pour ses assises un maximum de 55 académiciens et un minimum de 33. Le comité de sélection, dans sa sagesse, a préféré retenir le minimum en attendant, laissant les 22 autres sous la responsabilité des premiers académiciens qui doivent définir les critères suivant les besoins, les compétences et les ressources dont l’institution aura besoin pour son bon fonctionnement. En d’autres termes, la possibilité d’atteindre le nombre 55 est encore envisageable. Alors, soyons patients.
Enfin, comment fonctionne l’académie? En plus d’un conseil d’administration, l’académie fonctionne avec des commissions. Il y en a une pour chacune des instances suivantes : les règlements internes, le budget, la relation publique, l’éducation et la science.
Chaque commission a ses attributions. L’administration travaille en ce sens.
Par exemple, la commission scientifique a pour tâche de faire des recherches scientifiques sur le créole. Elle doit encourager tous les producteurs et les spécialistes du domaine à travailler ou à produire sur le créole. Ainsi, elle devra faire des recommandations sur des enquêtes, des recherches et des travaux qui devront être menés sur la langue, tels que : des inventaires, des dictionnaires, des ouvrages de syntaxe, de terminologie, de lexique et de phonologie, sans oublier des travaux sur la modification de l’orthographe et d’autres outils importants. En plus, elle devra homologuer certaines recherches.
En résumé, elle pourra faire la recommandation nécessaire sur la façon dont on va utiliser la langue pour qu’elle devienne un outil de développement du peuple haïtien.
Pour finir, nous aimerions dire à tous les haïtiens indistinctement que le créole est notre langue maternelle, nationale et officielle. C’est notre référence identitaire. Il doit être défendu avec fierté et dignité. C’est la raison pour laquelle nous devons collaborer avec l’académie pour relever ce grand défi avec elle, car ce combat est aussi le nôtre. Elle n’y arrivera pas sans le support inconditionnel de nous tous dans tous les secteurs du pays comme à l’étranger.
Aussi, profitons-nous de cette occasion pour remercier tous ceux et celles qui embrassent ce projet avec nous. C’est votre détermination qui nous a permis de franchir ce cap avec notre langue. Nous voulons aussi saluer et remercier la presse pour son soutien qui est toujours nécessaire. Merci aussi, chers lecteurs et lectrices, pour votre fidélité à notre infolettre et pour votre engagement face à notre langue maternelle.
Vive la Journée Internationale de la langue maternelle!
Joseph Sauveur Joseph